jaymie silk interview couvre x chefs 04
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Jaymie Silk : « L’avenir appartient à ceux qui créent la tendance »

L’ascension du producteur et DJ Jaymie Silk a été fulgurante. Depuis son premier EP publié il y a à peine deux ans, le compositeur français exilé à Montréal a vu son travail publié sur des labels reconnus (Boukan, [re]souces, Knightwerk, Moonshine…), a pu jouer sur des festivals canadiens réputés, est streamé des milliers de fois chaque mois sur Spotify et a même fortement participé à la (re)naissance de la scène ballroom de Montréal.

Après 10 ans dans le rap et le beatmaking, sa vision unique de la musique électronique, teintée de son parcours personnel, a fait de lui un des acteurs incontournables d’une musique club libérée, audacieuse et novatrice. Jaymie est actuellement en tournée européenne et nous avons pu lui poser quelques questions afin d’en savoir plus sur son parcours, avant de le retrouver chez Plage Club ce samedi 9 avril à Metz (plus d’infos ici).

jaymie silk interview couvre x chefs 01Jaymie Silk vu par Feriel Rahli.

CxC | Commençons par le commencement, comment as-tu débuté dans la musique ?

Jaymie Silk | J’ai commencé par le beatmaking rap et j’y ai évolué pendant une dizaine d’années, avant de changer il y a deux ans pour Jaymie Silk et la scène club, la musique électronique. Je me reconnais plus là-dedans.

C’est une scène où il reste encore des messages de revendications forts et on s’y amuse en même temps. Beaucoup de personnes s’unissent pour créer des espaces sécuritaires pour que tout le monde puisse s’amuser, partager, peu importe ta culture, tes origines, ta sexualité. Le rap c’est plus chacun sa gueule. Par exemple j’ai été jouer à Barcelone le 1er avril, en solidarité pour les vendeurs ambulants de Barcelone. Il y avait beaucoup de personnes d’Afrique de l’Ouest, du Pakistan, qui ont du bouger en Europe et qui se retrouvent à y galérer pour y survivre. Ce genre d’événements est fréquent dans le monde la musique électronique. Artistiquement,  ce qui m’intéresse c’est faire de la musique, créer, être un artiste. La musique électronique contient tellement de branches différentes que tu peux vraiment te permettre de tenter des choses. Dans le rap tu es plus limité, c’est assez standardisé et très conventionnel. Tu n’as pas forcément de reconnaissance et tu dois généralement te contenter de suivre une tendance. En musique électronique tu peux vraiment explorer différentes sonorités. Ce que j’ai plus faire avec Boukan Records avec des sonorités plus lofi, avec [re]sources en y intégrant des influences plus tribales ou en étant considéré comme un producteur à part entière en proposant une musique qui me plait. L’avenir appartient à ceux qui créent la tendance, pas à ceux qui la suivent.

Qu’est-ce qui définit ton identité musicale aujourd’hui ?

Je te dirai juste que ma musique c’est du Jaymie Silk. Tu peux y retrouver des influences afro-tribales, house/techno, de grosses percussions des grosses basses, des rythmes saccadés et l’énergie de la scène ballroom, par exemple sur Watch Me qui est sorti récemment sur Knightwerk. Il y a un côté très émo sur certains morceaux, je pense à des tracks comme Goodbye sur le LP trouble in Paradise, All I need ou Wallz Down sur la compilation Moonshine.


Watch Me, de Jaymie Silk.

Pas mal de producteurs viennent s’installer en Europe pour s’épanouir dans la musique, et la France a une image assez importante, vu d’extérieur, concernant la musique électronique. Toi tu as plutôt choisi de t’expatrier à Montréal, pourquoi ce choix et qu’est-ce que ça t’a apporté ?

C’était avant tout pour changer d’air et voir autre chose. Prendre du recul permet d’avoir une vue d’ensemble de tout ce qui se passe niveau musique. En Europe, en France notamment, on a un historique de la musique électronique assez différent de ce qu’on peut entendre en Amérique du Nord, plus particulièrement concernant la musique bass/club. C’est un milieu hypra compétitif. Il y a de nombreux Djs qui digguent masse de son, il y a des producteurs qui ont leur style propre. Du coup tu dois faire en sorte de differencier par ce que tu crées ou ce que tu proposes en tant que DJ. Ça te force à cravacher plus. J’aime la compétition. Ça m’a permis de mélanger toutes mes influences que ce soit en termes de musique tribale, de sonorités ethniques, ou un mix avec quelque chose de plus urbain à base de grosses basses 808. C’est super enrichissant de se bouger pour voir ce qui se fait ailleurs et s’en imprégner.

Jaymie Silk est né il y a seulement 2 ans. Depuis, j’ai pu recevoir le soutien de magazines comme Vice, The Fader, Fact Magazine ou être playlisté par des artistes notables comme Ana Sia, Tony Quattro, Tyga Paw. Le dynamisme de la scène club est vraiment différent.

Si j’étais resté en Europe je ne pense pas que j’aurai eu cette vision globale.

De plus, la culture ballroom et la scène vogue dans laquelle je suis actif vient d’Amérique du Nord. Etre là-bas m’a permis de m’y plonger, de connecter et me lier d’amitié avec des personnes de cette scène comme Skyshaker de Qween Beat par exemple.

jaymie silk interview couvre x chefs 00Jaymie Silk vu par Feriel Rahli.

Justement, tu es impliqué dans la scène ballroom à Montréal, peux-tu nous parler un peu de celle-ci et ton rôle dans ce mouvement ?

Le premier EP que j’ai drop sur Bandcamp était un 5 titres intitulé BallRoom et faisait hommage á la scène Ballroom des années 80, avec des sons qui correspondent plus à l’époque, très housy. Avec le release mon premier LP Trouble in Paradise, mon son avait circulé auprès de nombreux artistes, dont certains de chez Qween Beat, qui est LE label vogue music de référence, je pense à des artistes comme Byrell, Beek. La Ballroom scene est très active à New York, Toronto ou même à Paris maintenant, mais il n’y avait pas encore de choses en place sur Montréal. Gerard Reyes aka Bronzé, un performer basé à Montréal voulait y relancer la scène vogue. Ativan Halen, un Dj de Montreal m’avait contacté connaissant mon intérêt pour cette culture et à partir de là on a travaillé tous ensemble avec Amazon Wayne pour créer un espace de représentation à toutes ces personnes talentueuses qui n’attendaient que de s’exprimer.

Ce qui représente Montréal à ce niveau c’est la scène Kiki. Cest vraiment incroyable. En une seule année et deux événements on s’est retrouvés à organiser un Kiki ball avec des icônes du milieu comme Twiggy Pucci Garcon, Chi Chi Mizrahi et Skyshaker de Qween Beat qui est venu y mixer avec nous. C’est une culture à part entière, avec ses codes, ses acteurs, c’est une vraie communauté. Il y a quelque chose de très politique, des revendications de liberté, d’équité et d’acceptation. Ce sont des valeurs que j’ai en commun avec cette scène et je trouve ça important de comprendre et de respecter cette culture pour continuer à pousser le mouvement. C’est comme ça que je me suis retrouvé à devenir Dj résident de la scène ballroom de Montréal.

On a pu croiser tes morceaux sur Boukan Records, [re]sources, en ce qui concerne les labels français, ou encore chez Knightwerk (US) ou Moonshine Collective (Montréal), qu’est-ce qui t’a intéressé chez ses labels pour y publier ton travail ?

C’est principalement l’opportunité de proposer ce que je veux, ne pas avoir de limites et pouvoir créer des choses complètement nouvelles. Tant que la musique est bonne il n’y a pas à se prendre la tête.

En plus ces labels, ou un collectif comme la Moonshine à Montréal, ont vraiment à coeur de proposer quelque chose d’unique. Ça fait partie de leur identité et c’est cette démarche de sincérité et d’originalité qui fait aussi partie de mon identité : rester vrai et innover.

Ces dernières années en France on a pu voir un renouveau de la scène électronique, entre les labels suscités, le lancement de Rinse France, diverses soirées beaucoup plus métissées musicalement… quel regard as-tu sur ce phénomène ? Ressens-tu la même chose au Canada ? Est-ce un univers taillé pour ta musique ?

C’est interessant comme phénomene, c’est cool de jouer de l’afro donc tout le monde veut jouer de l’afro. Là c’est le Baile Funk qui arrive enfin en Europe. Ça me fait sourire. C’est sûrement dû au manque de diversité au sein des acteurs de la scène electronique traditionnelle.

Il y a 10 ans je n’aurais jamais imaginé mixer derrière des platines, oublie ça, c’était un milieu particulièrement blanc en France.

En Amérique du Nord c’est différent. Culturellement parlant la musique électronique, la club music, c’est une black music. Et le problème identitaire est plus large vu leur histoire. C’est un mélange de toutes ces influences. Du coup c’est pas rare d’avoir un DJ qui te joue du dancehall, du baile funk, du kuduro. Avant c’était une niche et avec l’explosion d’Internet, de la téléphonie en Afrique, c’est normal qu’on ait accès plus facilement à des musiques variées. L’ironie c’est qu’on est plus proches en Europe, mais on a du mal à accepter les autres cultures à une échelle mainstream. Quand il y a eu le délire raï’n’b c’était fait par les rebeus pour les rebeus. Avec l’afro les renois ont enfin un truc qui correspond à leur identité. Nous, ceux qu’on appelle les enfants d’immigrés, on est Européens, nombreux, on représente un pouvoir d’achat énorme aujourd’hui et on crée notre propre culture. On ne peut plus nous ignorer.

Heureusement qu’il y a des gens qui ont une démarche honnête de digger passionné. Tu prends l’Angleterre, il y a une vraie culture du digging hors de leurs frontières. C’est pas nouveau de voir des radios comme Radar Radio ou Rinse, et des curators qui vont te dénicher un son éthiopien ou indien que tu n’as jamais entendu de ta vie.

De toutes façons le monde est métissé maintenant, t’es obligé de l’accepter. On est là, on est talentueux et on est un mélange de toutes ces influences qui caractérisent notre génération. Je suis français né d’une mère italienne et d’un père béninois, j’ai passé les 5 dernières années à Montréal et surtout, j’ai grandi avec internet et un accès illimité à toute la musique du monde. D’une certaine façon on crée notre culture, elle est multi ethnique, tu l’entends dans ma musique.

Tu es actuellement en tournée européenne, qu’attends-tu de ce « retour au pays » ?

C’est avant tout une manière de tester le terrain avec des shows radios et des djs sets. C’est l’occasion de rencontrer des personnes avec qui j’ai pu collaborer ces deux dernières années et de voir aussi comment ma musique et la musique bass club est reçue ici, que ce soit lors de mes passages a Paris, Bruxelles, Barcelone ou pour la Plage Club à Metz. Ça va être des publics différents. C’est toujours bon de sortir de sa zone de confort.

Quels sont tes projets à venir pour 2018 ?

Ne pas m’arrêter de jouer. Je travaille constamment à créer de nouveaux sons, que ce soit des remixes de sons du moments que je drop sur soundcloud fréquemment (Look alive de Drake, Tom boy de Princess Nokia ou encore Benefice de Ninho et MHD) et je compte continuer à pousser ma musique encore plus loin en terme d’originalité. Il y a un EP 3 titres qui arrive sur Frite Nite, label basé à LA et qui met en avant de la musique non conventionnelle. Ana Sia et Salva étaient en train de s’occuper du mix et du mastering là. Pour 2018 il s’agit de continuer à produire de la musique, créer, collaborer avec des artistes et labels qui poussent les limites en terme de musique et qui sortent des carcans établis.

Jaymie Silk sera en DJ set à la soirée Plage Club à Metz ce samedi 7 avril (gratuit), plus d’infos sur l’événement Facebook.


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