Selectorchico™, de son vrai nom Nandy Cabrera, est un DJ et producteur uruguayen, actif depuis plus de 20 ans. Il est notre invité pour la première Couvre x Chefs PARTY ! qui aura lieu à L’Alimentation Générale à Paris le 1er août. Rencontre avec un passionné de musique, défricheur d’un genre qu’il nomme subtropical, acteur conscient et analyste de phénomènes post-migratoires et post-territoriaux.
Couvre x Chefs : Comment naît ton projet « Selectorchico™ » ?
Selectorchico™ : Je suis né en Suède, ma famille était réfugiée politique, ensuite j’ai vécu en Autriche puis en Suisse pendant 10 ans, à Genève. Jai commencé à utiliser le nom de Selectorchico™ il y a 20 ans, lorsque je suis arrivé en Uruguay. J’ai commencé dans le hip-hop, comme DJ, c’était une scène très restreinte à ce moment là en Uruguay. J’avais 16, 17 ans. J’étais également dans un groupe appelé Platano Macho en tant que MC invité. C’est à cette époque aussi que j’ai découvert la production de beats.
Mon activité en tant que Selectorchico™ s’est transformée petit à petit. Il y a eu beaucoup d’étapes différentes, j’ai pris différentes postures. Vers la fin des années 1990 je mixais plutôt drum’n’bass. J’ai ensuite étudié pour être ingénieur du son. De 24 à 30 ans j’ai travaillé dans beaucoup de films, de jeux vidéos… mais j’ai toujours continué à composer mes propres morceaux à côté, faire mes mixes etc. J’ai donc toujours eu ces deux activités en parallèle. Puis, j’ai eu l’idée avec un ami producteur qui s’appelle Nectar, d’organiser une soirée régulière où on a commencé à inviter des gens qui n’étaient jamais venus en Uruguay : Chancha Via Ciruito, Fauna, Villa Diamante… beaucoup d’artistes du label argentin ZZK. L’idée était de mélanger ces artistes à la scène que l’on était en train de monter en Uruguay qui consistait en différentes propositions allant du reggaeton à la cumbia, en passant par le dancehall…
J’ai sorti aussi quelques travaux sous mon nom Nandy Cabrera, ce sont des projets plus personnels, moins orientés dancefloor, comme par exemple le morceau Selknam qui a gagné le prix de la composition électroacoustique Becerra-Schmidt 2012.
Revisitando Macondo, les racines de la musique subtropicale.
CxC : Tu es actuellement en tournée européenne pour présenter ton projet Revisitando Macondo, peux-tu nous expliquer un peu plus en détail de quoi il s’agît ?
Selectorchico™ : Je présente ce projet comme une exploration de la musique subtropicale. Je vais commencer par t’expliquer ce que j’entend par musique subtropicale. L’Uruguay n’est pas un pays que l’on peut considérer dans la frange tropicale et nous sommes donc loin de toute la musique qui s’y joue : celle de Puerto Rico, la Plena par exemple, ou la cumbia de Colombie. Dans les années 50, commencent à arriver en Uruguay des groupes nés dans cette frange caribéenne, tropicale, come La Sonora Matancera et d’autres groupes de la région des caraïbes. Ça a beaucoup plu aux populations locales d’Uruguay qui découvraient ça et ont beaucoup aimé ces nouveaux rythmes. C’est comme ça que l’Uruguay a adopté cette musique caribéenne.
Ce qu’il s’est passé, le fil conducteur derrière tout ça sont les diasporas africaines.
En Uruguay il y a une grande tradition de musique afro avec le genre appelé candombe qui est une manière de jouer du tambour très caractéristique d’Uruguay : en général ce sont 3 tambours – chico, piano et repique – de tailles différentes qui jouent chacun un rythme complémentaire.
Par la suite, un compositeur d’Uruguay qui s’appelle Pedro Ferreira (il peut être comparé à un Duke Ellington de la musique afro uruguayenne) a vraiment donné ses lettres de noblesse au candombe en construisant le répertoire basique avec des chansons comme Biricuyamba ou mi sangre ta’ alborotá. Ceci a donné naissance à une première génération de groupes dans les années 60, qui jouaient une musique avec des influences caribéennes : Sonora Borinquen, Combo Camaguey, Sonora Cienfuegos. Cependant, je tiens à préciser que les influences caribéennes étaient plutôt perçues hors de leur contexte, rejouées depuis une certaine périphérie, dans un certain contexte dans lequel elles n’étaient pas nées. C’est donc pour ça que je fais référence au terme subtropical, car ce sont des musiques venues de la frange tropicale de l’Amérique latine, mais, rejouées à l’extérieure de cette zone, plus au sud, d’où l’appellation subtropicale. Ce constat est un des fils conducteurs de mon projet Revisitando Macondo.
Selectorchico™ : J’ai pu entrer en contact avec le directeur et programmateur du festival, dont le père est colombien, qui s’est intéressé à la culture d’Amérique latine premièrement à l’Université de Newcastle. Ça fait cinq ans que le festival existe, et comme il y a une forte communauté latine là-bas, ça marche assez bien. Le nord d’Angleterre est très ouvert aux sonorités latines ou étrangères (c’est là qu’a joué en premier Jimy Hendrix, avant Londres), à la culture afro etc. On est rentrés en contact via SoundCloud, il a bien aimé mon travail et m’a proposé de venir participer au festival. Ça m’a donc motivé à monter une petite tournée européenne en prenant VAMOS ! comme point de départ.
CxC : Que retires-tu de cette expérience ?
Selectorchico™ : Le festival était très intéressant, on pouvait y voir des gens comme l’artiste visuel péruvien Elliot Tupac , le groupe Ladies of Midnight Blue (funk afrobeat). Ça m’a permis de faire beaucoup de rencontres, des contacts, avec qui on envisage déjà des collaborations… c’était un rendez-vous très fertile en fait. Il y avait beaucoup de migrants, de gens venus d’autres pays qui se sont retrouvés en Angleterre par la force des choses.
On peut dire que c’est un événement qui naît dans cette époque post-coloniale, un évènement finalement engendré par les mouvements migratoires et coloniaux des pays européens.
Je le vois comme une conséquence positive d’un phénomène négatif comme l’est le colonialisme. C’est très intéressant qu’au jour d’aujourd’hui la communauté expatriée puisse se connecter avec la communauté locale et échanger de la sorte. C’est un phénomène qui me captive vraiment, et c’est ce que je veux dire par conséquence positive d’un phénomène négatif. Moi ce que je veux faire quand je suis à Londres, ce n’est pas d’aller voir la garde royale, mais plutôt aller à South London connaître au maximum les communautés locales, visiter les quartiers jamaïcains ou chercher des disques africains ou indiens. Ce qui me motive c’est de faire un maximum de rencontres, pouvoir travailler avec un maximum de gens, que ce soit au niveau de la composition, ou de l’ingénierie sonore, ou au niveau du booking des soirées Club Subtropical.
Club Subtropical, la soirée la plus post-territoriale possible.
CxC : À Montevideo tu fais donc partie du collectif / label digital Club Subtropical, qui comprend aussi le très bon Lechuga Zafiro que nous saluons. Quel est ton rôle au sein du collectif et quelles sont vos activités ?
Selectorchico™ : Nous avons formé le collectif en 2010 avec Nectar. Ensuite nous ont rejoint Superchango et Lechuga Zafiro en 2011. Toute l’identité visuelle, plastique et graphique est dessinée par Nectar, VJ et co-fondateur de Club Subtropical. L’idée, quand nous avons donné le nom subtropical, c’était d’amener une proposition musicale pour faire danser les gens, un peu différente de ce qu’il y avait déjà. Couvrir un domaine qui n’était pas représenté à Montevideo, mais qui avait pourtant des fans. L’idée première est donc de créer un espace de danse différent de ce qu’il y avait, et qui aurait une identité non-territoriale. Je suis très fan de nombreuses scènes de musiques mondiales (le kuduro d’Angola, le funk de la favela, le dubstep de Bristol…). Ce qui m’intéressait était donc de pouvoir faire une soirée la plus post-territoriale possible. Une soirée de reggaeton toute la nuit ne me branche pas, idem pour une soirée 100% cumbia digitale… moi ça m’ennuie. Je préfère emmener les gens hors des chemins habituels.
J’aime établir des connexions entre par exemple un son du Ghana qui a 30 ans, et un track de Mexico d’il y a 20 jours.
Nous avons surtout invité au début la scène d’argentine : Chancha Via Circuito, Negro Dub… puis ensuite la scène internationale comme le français dÉbruit.
Cette année nous avons été invités au Centre Culturel d’Espagne de Montevideo. Nous avons réalisé une performance chacun : Nectar, Lechuga Zafiro, Superchango, et moi, Selectorchico. C’est là que jai présenté pour la première fois le projet Revisitando Macondo : exposition de pochettes de vinyle, dj set, interviews en video et Chico Ferry comme invité spécial. Lechuga a exécuté une pièce multimedia de son nouveau projet qui s’appelle Salviatek. Superchango lui a présenté son travail Conexión Sonidera… Le leitmotif de la présentation était de montrer les connexions entre les cultures de différents pays comme la Colombie, le Pérou…
C’était donc une présentation née de phénomènes post-migratoires, post-territoriaux.
Nous organisons la résidence Club Subtropical dans différents endroits, mais à Montevideo on se retrouve confronté à un réel problème en ce qui concerne les infrastructures de taille moyenne pour monter ce genre de soirées.
CxC : Vous avez invité le français dÉbruit il y a quelques temps. Comment s’est faite la connexion ?
Selectorchico™ : Nous travaillons aussi avec les organisateurs du festival Soco qui avaient invité dÉbruit, et on a souhaité l’inviter à une soirée Club Subtropical pour l’occasion. dÉbruit travaillait plutôt des rythmiques orientales à ce moment là, ce qui était différent de ce que l’on proposait d’habitude, mais ça s’est très bien passé ça a été un échange intéressant !
CxC : Parle nous un peu de ton collègue Lechuga Zafiro, vous avez des collaborations ensemble ?
Selectorchico™ : Nous avons partagé un local avec Lechuga au sein duquel chacun avait son studio. Je lui ai donné un enregistrement que j’avais fait à la plage Ramirez (tout près de chez moi au Parque Rodó à Montevideo) durant la célébration de Iemanjá, le 2 février, qui est une cérémonie d’offrandes à la déesse de la mer. J’ai enregistré le groupe traditionel Afrogama là-bas, il s ‘agit d’un choeur féminin qui chantent des morceaux et prières afro-uruguayennes, candombe. Ce ne sont que des tambours et des voix, le morceau qui lui a plu répète le motif Eleggua quiere tambor. Eleggua est le gardien des chemins, il s ‘agit de la même entité que Papa Legba, dans les Loa Haitiens. Le résultat me plait beaucoup et je le joue souvent en DJ set. À l’heure de ma tournée il représente également un certaine côté mystique. (le morceau n’est pas encore sorti directement, cependant, vous pouvez l’écouter en ouverture de cet excellent set de Lechuga Zafiro, NDLR)
Logo de Selectorchico™, dessiné par le graphiste Kultura.
CxC : Comment se passe ta tournée ? Quelles sont tes prochaines dates avant de te retrouver le 1er août à Paris ?
Selectorchico™ : Je suis à Madrid puis Barcelone, et je travaille avec une agence qui s’appelle Offbeat. C’est une jeune agence qui se dédie à inviter des artistes – entre autres de la scène d’Amérique latine afin de les faire jouer en Espagne, allez checker leur page : Offbeat.com
CxC : Quels sont tes prochains projets ?
Selectorchico™ : La tournée continue donc en Espagne, puis on se retrouve à L’Alimentation Générale à la Couvre x Chefs PARTY ! à Paris le 1er août, ensuite Genève. Fin août je retourne en Angleterre pour deux nouvelles dates. Je cherche encore quelques dates en Italie ou dans le sud de la France pour les dernières semaines d’août. Ensuite je rentre en Uruguay, puis à Buenos Aires et au Paraguay. J’aimerais ensuite continuer la tournée à Mexico, à Cuba, Lima…
Je suis également en train d’enregistrer un disque avec le chanteur de 79 ans Chico Ferry, du groupe Conjunto Casino, que nous avons la chance de faire dans la Casa de la Cultura afro-uruguaya, Maison de la culture afro-uruguayenne.
Le disque de Macondo va sortir sur le label espagnol Vampi Soul, nous allons faire le mastering bientôt justement à Madrid. Et j’ai encore plein de projets que j’espère pouvoir montrer, monter, mettre en place, amener dans des endroits où ils sont inconnus etc, ojalá, inch’allah comme on dit !
Vous l’aurez compris, pour venir checker Selectorchico, discuter des phénomènes post-coloniaux en sirotant un mojito, ou tout simplement vous enjailler sur des musiques subtropicales, rendez-vous le 1er août à L’Alimentation Générale !
Photos © Fede Racchi.
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