Kablam aka Kajsa Blom – productrice suédoise géniale – vient, comme on le sait, du punk et du métal, mais dans une version anarchiste et plus que féministe.
Le 26 mai dernier, Kablam a sorti Confusía, son attendu album auto-produit.
Sa précédente sortie a vu le jour chez l’excellent label berlinois Janus, dont on entend un peu moins parler ces derniers temps (mais qui a produit assez de chef d’œuvre pour une vie entière de label). Dans Furiosa, le-dit EP antérieur, l’approche, pouvait être lue comme une réécriture et une explicitation politique du fort féministe et excellent dernier Mad Max.
Confusía n’est pas une suite, mais bel et bien autre chose, en reprenant toutes fois des codes propres à l’errance intérieure et extérieure de Kablam qui alimente toujours l’intensité de ses productions. C’est assez marrant à l’écoute, car des « gimmicks » qu’elle utilise depuis ses débuts de productrice, sont aujourd’hui des figures de style de la scène hybrid-club, post-club, post-internet, monstrueuse… choisissez le terme qui vous convient.
Confusía est une véritable partition d’émotion, un ensemble de gestes musicaux qui expriment quelque chose d’un cheminement dans le monde, d’un être-au-monde et d’un être-là à la fois. Confusía fait partie de ces albums qui ont une rare densité et une rare intensité.
On pourrait dire des productions de Kablam qu’elles ont leur propre rythme, leur propre emprunte. Quelque chose entre la dureté et la vitesse.
Kablam, et particulièrement dans Confusía, c’est aussi tout ce que devrait être et tout ce que n’est pas une partie de la scène dite « expérimentale ». Quand souvent trois mecs blancs se contentent d’improviser, comme ils le font depuis trente ans, autour de boîtes à rythmes ou d’instruments, Kablam, elle, invente une forme. Elle utilise tout un héritage et une matière, celle du club, parfois même de la rave, mais pas que.
Ça serait trop simpliste de réduire les matériaux de Kablam au simple, club/rave/électronique. En vérité, il y a quelque chose d’une construction très plastique et sculpturale de la matière musicale chez elle. Quelque chose que l’on pouvait trouver d’une manière différente chez les gens de Metamkine, et que l’on retrouve aussi encore aujourd’hui dans le travail par exemple de Franck Vigroux.
La « littérature dans le son » de Kablam
Mais Kablam y amène autre chose, quelque chose en plus, une sorte de littérature dans le son, une sorte de géométrie très construite, où à travers les figures classiques de l’électronique, on se sent débordé par des émotions, des sentiments, des cheminements intérieurs et « extérieures ». Une musique qui a le goût de l’expérience, d’un vécu digéré et raconté, une musique à la fois intime et extime.
Qui plus est avec une science du rythme absolument désarmante, pas sûr qu’on puisse vraiment danser sur les pistes de Confusía et pourtant, il y a quand même quelque chose de cet ordre dans sa musique. Le corps y est particulièrement malmené dans ses habitudes de danse, il faut imaginer quelque chose d’autre. Une position entre assis et debout, entre hypnose et extase, avec des constantes toujours brisées, des vitesses qui, toujours, changent, et une rugosité bien singulière.
On retrouve même sur certaines pistes un détournement du chant, de la voix, utilisée comme babillement. Quelque chose qui peut être assez proche d’une poésie performative sonore à la Henri Chopin. Mais tout cela toujours avec ce matériau qu’est le club, l’électronique, la techno, la rave et ses rythmiques. Crux est sans doute à ce titre un des plus beaux morceaux expérimentaux des dernières années, tant il croise et hybride de références et de singularité. Henri Chopin et Bernard Heidsieck à la moulinette club, ça ne manque pas de classe.
Si on ajoute à cela un travail sur des motifs de mélodie, plus dans l’esprit musique classique, et des expérimentations autour du souffle, on est vraiment confronté à un phénomène particulier. Ce qui est assez fou dans tout Confusía c’est qu’on a l’impression d’un travail à la bande magnétique, sauf que de bande magnétique il n’y en a pas l’ombre. Tout tient à la vitesse, décélération, accélération, hybridation, expérimentation.
Finalement Confusía s’apparente autant à un travail littéraire ou musical, que plastique, c’est comme une sorte de travail de mémoire. La mémoire d’intensités, de sensations, produites aussi bien en soi, que par le monde même.
Confusía est inquiétant, monstrueux, terrorisant, mais aussi particulièrement jouissif. Jouissif tant il regorge de nouveautés, d’expérimentations jamais entendues, et de tout un travail de réinterprétation des scènes expérimentales issues aussi bien de l’improvisation, que de la poésie sonore ou du club.
Encore une fois une masterpiece, encore une fois une épaisseur et une densité assez rare pour être soulignée. Kablam s’affirme définitivement comme une des figures incontournables de la musique électronique et expérimentale d’aujourd’hui. Un nouveau paysage sonore fait d’une hybridation radicale entre passé, présent, avenir, figures de style, ritournelles, gimmick et détournement. Un album sensible dans tous les sens du terme, et dans toute la puissance politique que ça peut avoir.
Une vraie belle claque, un album à la fois mental et physique, bref, ce qu’on appelle, oui, définitivement, une masterpiece.