Lire la première partie de l’interview.
La tropical bass en Amérique Latine
Couvre x Chefs : La compilation Roots of Chica, du label New Yorkais Barbès Records a eu un rôle important dans l’essor de la scène tropical bass ?
Rafael : Oui de fait ! Au Pérou, beaucoup de la musique de cette compilation est difficile à trouver parce qu’elle est sortie à une époque où internet n’existait pas… il y avait juste des disques et des vinyles… petit à petit toute cette musique s’est perdue. Des collectionneurs sont venus et ont raflé tous les disques !
VJ Sixta : C’est pas cher du tout au Pérou, un vinyle coût moins d’un euro donc tu arrives et tu prends tout.
Rafael : Maintenant si tu vas à une boutique tu ne trouves plus ces disques, c’est très difficile. Ce qu’a fait le gars de Barbès Records c’est de compiler tous ces morceaux, il les a tous mis dans un seul disque. Aussi incroyable que ça puisse paraître cette musique est donc partie du Pérou… pour mieux y revenir ! Quand les gens écoutent, ils se disent « Wow ! Je connais déjà quelques chansons mais pas la moitié ! », du coup tu découvres des noms, tu te mets à chercher un peu plus… cette compilation a été très importante. D’ailleurs ils en ont fait deux, la seconde est une rectification de la première parce que des informations étaient erronées sur le premier volume.
CxC : Les noms des groupes… ce genre de choses ?
Rafael : Les compositeurs etc… par exemple. Il y a un groupe assez connu de Lima qui s’appelle Los Mirlos. C’est un des principaux groupes de cumbia amazonienne et plein de leurs chansons… ne sont pas d’eux, mais sont d’un autre groupe qui s’appelle The Wemblers. On a d’ailleurs invité les deux aux soirées qu’on organise à Lima.
CxC : La scène tropical bass est comment au Pérou ? Quels sont les groupes ou producteurs à suivre, au Pérou ou en Amérique Latine en général ? Parlez-nous de vos évènements TOMA! et de votre collectif Auxiliar.
Felipe : Les soirées TOMA! ont déjà un line up qui se répète plus ou moins : sont inclus des artistes du Pérou, et on invite toujours quelqu’un d’étranger. Entre autre on peut citer Animal Chuki…
Rafael : … Elegante y La Imperial, de qui on va publier le disque sur notre label très bientôt. Il y a aussi Qechuaboi…
VJ Sixta : … bon et on change aussi avec d’autres gens qui mixent, mais on veut surtout les inviter eux trois car ils sont vraiment très bons.
CxC : C’est en quelque sorte les résidents ?
VJ Sixta : Oui, enfin Animal Chuki est relativement nouveau, ils sont très jeunes, ils viennent de signer avec ZZK et leur son est super bon.
Rafael : Elegante Y La Imperial est un de ceux qui a initié le mouvement tropical à Lima, avant nous d’ailleurs.
Felipe : Exact, le mouvement de l’afro step aussi…
VJ Sixta : C’est un dj très versatile, il fait plein de style de musique et il défonce tout vraiment ! Il est très bon !
Felipe : il fait des remixes de deep house aussi.
VJ Sixta : Sa force c’était la house… Qechuaboi lui joue sans ordinateur, seulement avec des machines ! Ses sets sont super énergiques !
Rafael : Bon, aux soirées TOMA! on invite donc des péruviens et aussi des étrangers. Au début on invitait beaucoup de groupes étrangers qui faisaient de la cumbia, et maintenant justement on voudrait varier un peu… à la dernière par exemple on a invité JSTJR qui fait du zouk bass et qui est très bon ! Ça veut dire Jim S.T jr.
VJ Sixta : On a invité les Frikstailers, Chancha via Circuito, Douster… excellent Douster d’ailleurs ! El Bigote aussi…
Rafael : … bon et aussi les groupes dont je te parlais avant Los Mirlos, The Wemblers… c’était la première fois qu’ils jouaient devant des gens si… jeunes, d’un autre délire…
Felipe : …hispters ! hahahaha
Rafael : Pour nous c’était mortel, pour eux aussi. On était fascinés de les voir jouer avec un public et d’autres artistes si jeunes.
VJ Sixta : Oui, c’est un public très différent de celui qui va les voir à leurs concerts.
CxC : C’est super cool justement car c’est des artistes que vous samplez vous-mêmes ou que vous remixez !
VJ Sixta : Oui ! Los Mirlos ont été les premiers. Je sais pas mais… j’ai l’impression que c’est presque quand on les a invités à une soirée TOMA qu’ils se sont ouverts à un autre public. Aujourd’hui ils jouent tout le temps dans des clubs plus… « branchés ».
Felipe : On leur a fait un remix et ils le postent tout le temps sur leur facebook.
CxC : Vos disques (La Alianza Profana et Simiolo remixes) sont sortis chez Chusma Records (label allemand) et votre dernier EP Serpiente Dorada est sorti chez les portugais d’Enchufada (label de Buraka Som Sistema)… il n’y a pas de label qui diffusent votre travail en Amérique Latine ?
Rafael : Si ! On a nous même notre propre label.
VJ Sixta : La Alianza Profana est sorti en premier sur notre propre label…
Rafael : …en 2012. Plus tard, 8 mois après, Chusma l’a réédité en Allemagne. Mais en réalité tout le concept, tout le buzz qu’il y a eu sur ce disque, qui a pas mal tourné, ça s’est passé quand on l’a sorti à Lima. Quand il est sorti chez Chusma, déjà beaucoup de blogs avaient fait un report du disque.
Felipe : Tout le travail du disque s’est fait à Lima, avec Auxiliar, toute l’identité visuelle, tout s’est fait là-bas.
Rafael : D’ailleurs si on n’avait pas eu le soutien d’Auxiliar pour sortir ce disque ça aurait été beaucoup plus difficile.
CxC : Auxiliar c’est donc aussi votre propre label ?
VJ Sixta : C’est nous trois et deux autres amis, nous sommes le collectif et le label.
Rafael : Auxiliar produit aussi les soirées TOMA, les évènements etc…
VJ Sixta : C’est Big Browser ! hahahaha c’est nous… et quelque chose en plus.
CxC : Et vous avez sorti d’autres projets chez Auxiliar en tant que label ?
Rafael : Avant ce disque on avait déjà sorti des choses mais seulement en ligne. C’était des projets plus électroniques, moins fusion. Maintenant justement on va plus développer Auxiliar en tant que label et on est sur le point de sortir le projet de Elegante & La Imperial. Ce sera un CD aussi….
VJ Sixta : … on va mettre à jour le site internet aussi…
Rafael : … pour qu’il fonctionne mieux et que tu puisses acheter les disques en ligne. On est dans le processus. On veut soutenir les projets des gars qu’on a évoqué au-dessus, et d’autres en Amerique Latine… ou dans le reste du monde en fait !
Dengue Dengue Dengue! – Hair – Foto por Hilda Melissa Holguin
Dengue Dengue Dengue et l’Europe
CxC : Quand êtes-vous venus pour la première fois jouer en Europe ? Ça s’est fait comment ?
Rafael : L’été dernier. On est venus pour une tournée de 14 ou 16 dates, on a presque tourné deux mois. C’était mortel. Il y a eu de tout ! Sur quelques dates c’était pas trop ça, mais la majorité ont été vraiment très bonnes surtout le festival Fusion en Allemagne…. Je crois que de toutes les dates qu’on a fait c’était eux qui étaient les plus « spécialisés » dans le style que l’on fait.
Felipe : Il y avait un chapiteau entier uniquement dédié aux musiques latines.
VJ Sixta : C’était un peu un carnaval fantôme, dans la nuit il était recouvert de néons !
Rafael : Après on est venus en France, on a joué dans un festival qui s’appelle Col des 1000 qui se situe à la frontière avec la Suisse, en montagne. C’était trop bien, on a joué avec Puppetmastaz etc… On a joué en France, en Espagne, en Allemagne, à Prague…
CxC : Comment réagit le public européen à votre musique ?
Rafael : Je pense qu’ici en Europe la culture est plus généralisée. Pour un européen c’est plus facile d’écouter de la musique d’autres pays. Nous on vient du Pérou où on écoute de la musique péruvienne ou de la pop des États-Unis, c’est tout. Donc si tu arrives et que tu joues de la musique hindou ou africaine, c’est très dur que des gens t’écoutent parce qu’il n’y a pas de public là-bas. En Europe en revanche il y a beaucoup d’immigration de divers pays et ça donne aux gens une culture générale plus riche.
VJ Sixta : Les européens sont plus ouverts d’esprit.
Rafael : Je crois que ça nous a beaucoup aidé. On a joué dans beaucoup d’endroits où il y avait beaucoup de gens d’Amérique latine voire des péruviens, mais on a aussi joué dans des endroits où il n’y avait pas un seul latino mais le public répondait présent… et avec le swing !
VJ Sixta : Ils comprenaient pas ce qu’il se passait mais ils dansaient ! hahaha
CxC : C’était comment à Marseille il y a deux semaines ? (NDLR l’interview a été réalisée le 2 avril)
Felipe : Très bien ! Génial !
Rafael : Le but du voyage était d’aller à Marseille pour faire une tournée plus grande en été, et se faire booker dans le sud, c’était un festival de promoteurs. D’ailleurs au début on était un peu stressés parce que c’était un de ces festivals du type « world music », et nous on est bien électroniques ! Mais ça s’est super bien passé, tout le monde dansait !
CxC : Vous trouvez qu’on danse mal ? (rires)
Rafael : Hein ??
CxC : Nous, français ou les européens en général, on danse mal ?
Rafael : Ah ! non non non ! vous dansez… différemment ! Disons que vous avez votre propre notion de la danse hahaha ! Mais c’est cool ! C’est marrant ! haha!
CxC : Qu’est-ce qui vous branche en musique européenne ?
Felipe : Douster…
Rafael : …des italiens qui s’appellent Clap Clap, Copia Doble Sistema, ce sont des danois.
VJ Sixta : Eux ils ont un projet cool, qui ressemble un peu à ce qu’on fait, ils ont du VJing, c’est un peu plus complet… pour moi, ça vaut le coup.
Rafael : Ils sont dans un délire un peu… tropical, mais il a des groupes qui ne sont pas tropicaux mais qui nous influencent énormément : la bass music anglaise, allemande, c’est ça qu’on écoute le plus en fait.
VJ Sixta : Par exemple si Modeselektor arrive on peut se mettre à lui courir après comme des groupies! Hahaha
Felipe : Nos influences au tout début c’est Aphex Twin, Squarepusher etc… Imagine Squarepusher qui fait de la cumbia ! hahaha Bon et bien sûr Señor Coconut, il vit au Chili mais il est allemand. Il a des milliers de projets ! C’est un des pionniers.
VJ Sixta : Ça a été le premier à faire vraiment de la cumbia électronique.
Felipe : Et Dick el demasiado.
Rafael : Oui mais lui c’est après ! Señor Coconut a commencé en 1998 la fusion.
CxC : Quels sont vos projets futurs ?
Felipe : Revenir en été, pour commencer, et l’idée c’est d’avoir le temps suffisant pour amener des nouvelles compo. On voudrait aussi sortir une compilation chez Auxiliar avec des artistes de différentes parties du monde, en se focalisant sur la musique « global bass » … comme on l’appelle !
VJ Sixta : Ce serait un mélange d’artistes péruviens, étrangers… on est encore en train de définir tout ça.
Rafael : Bon et puis, je sais pas quand, mais à un moment on aimerait bien sortir un nouveau disque. On travaille pas dans l’idée de faire un album, on fait plutôt nos trucs, et à un moment on se dit : « Bon avec ça on fait un album ». On ne travaille pas pour faire un disque, on lui donne forme petit à petit.
Felipe : Le concept découle de lui-même. Tout ce qu’on a fait s’est toujours fait comme ça.