Chacun vit son échange universitaire à l’étranger à sa façon. Pauline Barnier et Joséphine Poirot-Delpech elles, toutes deux architectes, ont profité de leur année à Saõ Paulo pour s’intéresser au projet Nova Luz dont le but originel est de revitaliser le centre de la ville. Dans les faits, cette opération a un impact conséquent sur la façon de vivre des couches sociales les moins aisées de la population qui se voient simplement délogées. De ce constat est né MAUÁ, un film documentaire réalisé, avec les moyens du bord, sur la complexe question du logement qui se pose dans le centre ville de Saõ Paulo. Avant de retrouver le film disponible en intégralité en fin d’article, j’ai pu poser quelques questions à Pauline Barnier, l’une des deux réalisatrices, afin d’en savoir plus sur ce projet et ses conditions de réalisation :
Avec ce documentaire, nous voulions montrer cette lutte de territoire entre les habitants, les associations et les pouvoirs publics.
MAUÁ – Interview de Pauline Barnier (co-réalisatrice) :
Couvre x Chefs : Salut Pauline ! Ton documentaire s’appelle MAUÁ, peux-tu nous décrire de quoi il parle, et ce que signifie ce nom mystérieux ?
Pauline Barnier : Le documentaire suit le quotidien d’une occupation nommée Mauá. Une occupation désigne un lieu abandonné, qui, parce qu’il ne rempli plus de fonction sociale, est alors investit par des personnes sans logement. Dans le cas des occupations de São Paulo, ce sont souvent des associations de lutte pour le droit au logement qui les organisent. Parfois l’occupation est un ancien bâtiment industriel, d’autres fois un immeuble de logement. Dans le cas de la Mauá, il s’agit d’un ancien hôtel, laissé vide depuis vingt ans. Occuper vise un objectif double : dénoncer l’absurdité des trop nombreux mètres carrés construits mais laissés vacants face au réel problème de mal logement qui subsiste à São Paulo, et offrir – avec une réhabilitation très sommaire – un toit aux familles en détresse. Nous avons choisi de suivre cette occupation (il en existe de nombreuses dans la ville) car elle était menacée d’expulsion lors de notre présence au Brésil. Un projet enclenché par les pouvoirs publics nommé Nova Luz prévoyait la « revitalisation » de la région centrale, mais s’apparentait en réalité plus à une opération de « nettoyage humain » et social, qui cherchait explicitement à assurer la gentrification (NDLA : tendance à l’embourgeoisement d’un quartier populaire) de cette zone. Il faut savoir que le centre ville est encore très populaire à São Paulo. Avec ce documentaire, nous voulions montrer cette lutte de territoire entre les habitants, les associations et les pouvoirs publics. Quant au nom, il vient tout simplement de la rue dans lequel le bâtiment se trouve, la rua Mauá.
Couvre x Chefs : Combien de personnes en tout font partie de l’équipe de réalisation ?
Pauline Barnier : Nous sommes deux à avoir réalisé ce film : Joséphine Poirot-Delpech et moi. Nous avons demandé de l’aide à droite à gauche pour le montage (et la musique !), parce que nous avons toutes les deux fait des études d’architecture et nous ne connaissions rien du tout à la réalisation d’un documentaire. C’était plus du bidouillage que du travail de professionnels !
Nous avons orienté notre recherche vers les questions de l’habitat digne et du droit à la ville.
Couvre x Chefs : Comment est né ce projet ?
Pauline Barnier : Joséphine avait vu le documentaire Dia de festa du collectif Coloco avant de venir au Brésil. Celui-ci montre différents types d’habitat informels présents dans la ville de São Paulo. Nous avons tendance à assimiler rapidement l’habitat informel brésilien aux favelas, mais en réalité il y a aussi les « cortiços » (taudis) et les occupations. Les questions sur le droit au logement l’avaient intéressées et elle avait pensé rapidement travailler sur cette question à travers son mémoire de fin d’études. Lors d’une table ronde à l’Université, elle a rencontré Carmen Da Silva une coordinatrice du Mouvement des Sans Toit du Centre qui lançait une invitation aux personnes présentes pour connaître l’association. C’est à ce moment que Joséphine a décidé de participer aux réunions organisées dans le quartier de Santa Cecilia et elle m’a proposé de l’accompagner. Personnellement je ne connaissais rien à ce sujet avant d’assister à ces réunions. Après plusieurs mois de présence aux réunions hebdomadaires, nous avons demandé à visiter des occupations. Nous en avons visité deux, et nous avons alors eu l’idée et l’envie de filmer cet habitat informel. Au départ c’était assez flou, nous filmions les portraits des habitants, puis avec l’actualité du projet Nova Luz et la lutte qui a suivi, nous avons orienté notre recherche vers les questions de l’habitat digne et du droit à la ville.
Je crois que c’est aussi la force de notre documentaire, les habitants se sont livrés avec sincérité.
Couvre x Chefs : Quelles ont été les difficultés d’un tel tournage ?
Pauline Barnier : Humainement cela s’est très bien passé ! Les habitants comme les coordinateurs nous ont très bien accueillis, personne n’était retissant à notre présence. Cela nous a beaucoup aidé, car nous sommes plutôt timides et entrer dans ce monde précaire au Brésil était assez impressionnant au début. Je crois que c’est aussi la force de notre documentaire, les habitants se sont livrés avec sincérité. C’était assez intime et beaucoup de personnes qui ont vu notre documentaire ont été touchées par cette approche.
Bien sûr il y avait la barrière de la langue, heureusement Joséphine a un meilleur portugais que moi !
Sinon les difficultés ont principalement été techniques ! Nous avons filmé avec une caméra, puis avec trois appareils photos différents. Nous avons eu des problèmes de sons et parfois de batteries… En plus le lieu était mal isolé, il y avait toujours du bruit et les appartements sont quand même très sombres. À la fin nous avons filmé avec un compact et enregistré le son avec un iPhone. En général, tout le tournage a été assez « roots » ! Joséphine comme moi n’est pas très organisée, c’était folklorique ! Des fois on utilisait ma tête comme support car on avait oublié le trépied !
Il y a de nombreuses façons d’exercer le métier d’architecte : une approche consciencieuse, économique et généreuse du projet est possible, et peut aider à combattre le mal logement.
Couvre x Chefs : En ce qui concerne directement le sujet du film, quel regard as-tu sur le travail de l’architecte par rapport à une situation complexe comme celle développée dans MAUÁ ? Penses-tu que l’architecte ait un rôle sociopolitique à jouer ?
Pauline Barnier : Cette expérience a changé mon regard vis à vis du rôle de l’architecte. En rentrant en France, j’ai fait un stage chez Patrick Bouchain car je souhaitais voir l’exercice de ce métier sous une approche plus sociale, humaine et engagée. On nous parle très peu de cet aspect dans les écoles d’architecture, mais aujourd’hui de plus en plus d’agences travaillent en lien avec les usagers. L’habitat participatif est devenu un phénomène sociétal et on tend vers plus de proximité entre les différents acteurs qui façonnent la ville. Il y a, je crois, une vraie demande de démocratie participative. Je pense que les architectes sont des acteurs qui peuvent permettre l’habitat digne. Ils ne sont bien sûr pas les seuls. On voit bien dans l’exemple de la Mauá le poids, bien sûr, des pouvoirs publics, mais aussi des mouvements sociaux, des associations, des habitants, etc ! Il y a de nombreuses façons d’exercer le métier d’architecte : une approche consciencieuse, économique et généreuse du projet est possible, et peut aider à combattre le mal logement.
Couvre x Chefs : Revenons-en au projet en lui-même… c’est ton premier documentaire, il y en aura d’autres ? Si oui, comment envisages-tu de structurer ton équipe ?
Pauline Barnier : Dans l’idée j’aimerais avoir la possibilité d’en faire d’autres, mais pour le moment rien n’est sur le feu ! Je m’intéresse de plus en plus à la vidéo en général, mais je pense que si nous devions faire un nouveau documentaire il serait préférable de s’entourer de personnes plus qualifiées dans ce domaine !
MAUÁ – Film complet :
Synopsis :
São Paulo. Dans le centre de la ville, délaissé par les élites depuis plusieurs décennies, paupérisé, une dispute de territoire se mène. Au sein d’un des nombreux immeubles abandonnés, un combat pour le droit au logement et par dessus tout pour le droit à la ville, est mené par les 237 familles qui occupent le n°340 de la rue Mauá.
En s’immisçant dans le quotidien de cette occupation et à travers les portraits de Rubia, Anisio, Roberto, Rosalie etc, ce documentaire propose de comprendre une lutte : celle d’une population qui ne supporte plus les inégalités d’une mégalopole de plus de onze millions d’habitants.
Symptomatique d’un mal être grandissant, cette lutte résonne comme un cri d’alarme et s’illustre comme les prémices d’une révolte urbaine qui a ébranlé le Brésil en 2013.
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