Il y a trois ans, lorsque je faisais mon premier dj set « pour de vrai » à l’occasion d’un nouvel an sur la côte Pacifique du Mexique (à Puerto Escondido pour être précis), j’ai eu la chance de rencontrer les membres d’un crew appelé NAAFI, dont je me suis retrouvé sans le savoir (ni eux ni moi) à faire le warm up. NAAFI est un organisme basé à Mexico dont les têtes pensantes sont Tamás Davo aka Fausto Bahía et Alberto Bustamante aka Mexican Jihad suivi de près par Paul Marmota et Lauro Robles aka Lao. NAAFI se dédie à promouvoir ce qu’ils appellent les « rythmes périphériques » (« Ritmos periféricos » en VO) sur les dancefloor de musique électronique. Pour être plus clair : Naafi a débuté son existence en organisant des soirées où ils ont décidé de mixer « tout ce qui gravite autour du mainstream, mais qui n’est pas mainstream » (dixit eux-même). Petit à petit, Naafi est devenu une référence dans la scène musique électronique underground (et pas que) promouvant des dj et producteurs locaux désirant proposer leur vision de la musique électronique. D’organisateurs de soirées, NAAFI est devenu un label, puis a récemment commencé à s’occuper du booking d’artistes significatifs du « son NAAFI », ce qui les a amenés à une tournée d’un mois aux Etats-Unis en septembre et une première tournée en Europe en mai-juin.
En quelques années, on peut dire que les artistes mis en avant par NAAFI que ce soit dans leurs soirées ou au travers de leurs sorties physiques et digitales appartiennent à une scène de musique électronique émergente, qui rend hommage à des influences latines tout en les combinant à des rythmiques allant chercher ses racines dans la UK bass (mais pas que). Je ne résiste pas à citer quelques artistes invités par NAAFI lors de leurs soirées à Mexico : Matias Aguayo (patron du label chilien Cómeme), Venus X (GHE20G0TH1K, New York), Kingdom, Füete Billëte et Massacooramaan (Fade to Mind, Night Slugs) ou encore les excellents Imaabs (Chili), Lechuga Zafiro (Uruguay), et récemment le big boy Douster (France).
NAAFI : LE LABEL
NAAFI a débuté en tant que label en 2012. La première publication fut celle d’un vinyle du rappeur chilien Jamez Manuel (membre de Zonora Point), dont chaque titre est issu de la collaboration entre le français Douster (coucou King Doudou) et divers producteurs d’Amérique latine. S’en sont suivi d’autres EPs physiques courant 2013 et 2014 : Siete Catorce, Paul Marmota, Lao et Smurphy en octobre dernier. En parallèle, le label compte un second catalogue de sorties purement digitales qui a vu le jour en décembre via la sortie du très intéressant EP, plutôt grime, d’Omaar intitulé « NO ! ». Omvvr est un producteur de l’Estado de Mexico (région située en périphérie de la ville de Mexico).
En décembre dernier, j’ai eu la chance de pouvoir assister à la conférence de presse donnée par NAAFI à propos de sa nouvelle sortie : NAAFI TRIBAL. L’interview vidéo est à retrouver en fin d’article (filmée par Aldo So, desde la Ciudad de México), mais avant ça, j’aimerais revenir plus particulièrement sur le disque dont il est question.
NAAFI TRIBAL est un projet qui fait partie d’un troisième catalogue géré par le label mexicain en collaboration avec le Centro de Cultura Digital de la ville de Mexico. Ce catalogue, dont TRIBAL fut la première publication, est voué à publier des disques dédiés à des courants de musiques propres au Mexique, sous forme de compilations. La première est donc une compilation de musique du genre tribal.
MAIS… QU’EST-CE QUE LE TRIBAL ?
Le tribal est un genre de musique populaire né au Mexique, précisément à Mexico. Cette musique comporte un rythme qu’on pourrait assimiler à un rythme de cumbia accéléré, proche de la techno (avoisinant les 130 BPM, alors que la cumbia « traditionnelle » est généralement en dessous des 100 BPM), et des sonorités mêlant influences locales (cumbia, ranchero, congas et autres percussions afro caribéennes…) avec des sons de musiques électroniques. Les prémices de ce genre remontent au tribal dit « préhispanique », dont on peut citer DJ Mouse comme initiateur, et dont les sonorités sont plutôt organiques (flûte, percussions… voire plus en lien avec la musique africaine).
Le tribal s’est petit à petit étendu à environ la totalité du Mexique, s’écoute dans tous les marchés du pays et en fonction des régions, le tribal a gagné des sonorités différentes, créant ainsi des sous-genres de tribal : le tribal guarachero né à Mexico (puis exporté et popularisé au nord), le tribal préhispanique évoqué antérieurement, le tribal costeño de la région d’Oaxaca et de la côte Pacifique (la Costa Chica des états de Guerrero et Oaxaca)… Le genre a littéralement explosé lorsqu’en 2010 le trio de très jeunes producteurs « 3ball MTY » (à prononcer « tribal Monterrey ») a été repéré par un producteur de renom de la scène mexicaine : Toy Selectah. Cette rencontre a permis à 3ball MTY de signer en maisons de disque et ainsi de voir sortir leur album diffusé de manière légale sur le marché national et international (carton aux USA) ; rappelons que cette musique était vendue jusque là uniquement sur des CDs piratés, sur les marchés ou dans le métro, sans véritables crédits et encore moins de droits d’auteurs… ce qui s’avère encore être la majeure part de sa distribution en fait. Juste en dessous vous verrez le clip du hit de 3ball MTY qui les a propulsé en tête des charts US et mexicains. Cependant, je tiens à insister sur le fait que les « bottes » que l’on voit dans le clip s’apparentent plutôt au folklore de la région de San Lui Potosi (centre du Mexique) que du nord d’où sont issus 3ball MTY.
NAAFI & CENTRO DE CULTURA DIGITAL PRÉSENTENT : « NAAFI TRIBAL »
C’est ainsi que NAAFI s’est attelé à réaliser une compilation formelle du genre, en collaboration avec le Centro de Cultura Digital de Mexico. Ils se sont focalisés sur trois types de tribal en particulier : le tribal préhispanique, le tribal guarachero et le tribal costeño. La triple compil est disponible gratuitement sur le site de NAAFI et sur le site du Centre de Culture Digitale. Pour les chanceux, elle est dispo en CD physique gratuit à Mexico au Centro de Cultura Digital. Chaque disque est donc dédié à un type de tribal, et est réalisé par un DJ expert en la matière, choisi par NAAFI :
Tribal prehispánico
Sélectionné par Javier Estrada. Javier Estrada compte pas moins de 800 sons disponibles sur internet, et expérimente le tribal préhispanique depuis de longues années maintenant, bien avant la « reconnaissance » du style et la popularité acquise par celui-ci aujourd’hui. Son disque de la compilation TRIBAL de NAAFI comprend exclusivement des chansons composées par lui-même, piochées dans sa riche collection et mixées par lui-même.
Tribal guarachero
Sélectionné par Alan Rosales. Le DJ Alan Rosales vient du quartier d’Iztapalapa de la capitale mexicaine, et est fils d’un célebre « sonidero » : Sonidero Marshall. Rappelons qu’un « sonidero » est, dans la culture mexicaine, une personne ayant en sa possession un soundsystem puissant ainsi qu’une bonne sélection de musiques populaires (salsa, cumbia…ou High Energy, mais ça c’est une autre histoire) et qui anime les fêtes de quartiers ou les soirées. Le sonidero est donc proche du DJ au sens occidental du terme, mais ce qui fait la grande caractéristique du sonidero est sa façon d’interagir avec le public : de fait, le sonidero a toujours en sa possession un micro et lance des « dédicasses » au public, qui parfois lui demande directement des titres particuliers.
Alan Rosales vient donc d’Iztapalapa qui est, avec le quartier de Tepito, le lieu emblématique de la culture des sonideros à Mexico. Alan Rosales compose de la musique tribal type guarachero, le style caractéristique de la ville de Mexico. La différence avec le tribal préhispanique est que le tribal guarachero utilise non pas des sons de flûte andine mais des synthétiseurs pour les mélodies. Sa compilation est un mix de compositions propres et autres versions revisitées (« tribalisées ») de grands classiques de la musique mexicaine.
Tribal costeño
Sélectionné par DJ Tetris. DJ Tetris, ou Alejandro Triste, vient de la région d’Oaxaca, et particulièrement de Puerto Escondido, un des endroits les plus fantastiques de la Terre, selon moi. Très reconnu dans le domaine, on peut presque dire que DJ Tetris est à lui seul le tribal costeño. Le DJ utilise beaucoup de chansons folkloriques d’Oaxaca, sur lesquelles il il pose une rythmique tribal. Parfois même, certains des groupes locaux composent spécialement pour lui des parties instrumentales sur lesquelles il ajoute des rythmiques tribales. Sa compilation est donc un mix de compositions propres, et de morceaux du folklore « oaxaqueño » « tribalisées ». On peut d’ailleurs supposer que de grandes influences de la musique tribal de DJ Tetris proviennent du genre musical folklorique connu sous le nom de « chilena » et très populaire dans les états de Guerrero (Acapulco) et Oaxaca (Puerto Escondido, Pinotepa Nacional…). Le nom « chilena » provenant de l’imimgration de chiliens sur la côte Pacifique du sud du Mexique reliant ces deux états : la Costa Chica.
NAAFI : INTERVIEW VIDEO
Après cette petite initiation à NAAFI et au tribal, ainsi qu’au disque de NAAFI TRIBAL en collaboration avec le Centro de Cultura Digital de Mexico, tu peux retrouver les interviews d’Alberto Bustamante aka Mexican Jihad et Tomás Davo aka Fausto Bahía (fondateurs et têtes pensantes de NAAFI). Choisis tes sous-titres : français ou anglais.
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