2020, tomber sur un album entièrement focus sur la harpe, un instrument typique du baroque, du Moyen-Âge et des celtes, mais aussi certainement l’instrument le plus partagé entre les âges en passant des andins, aux celtes et aux grecs…
Alors à quoi peut ressembler un LP de harpe en 2020, qui ne soit pas l’interprétation d’une œuvre classique ou d’un solo de musique régionale ?
The Wheel Of Time, sorti chez l’excellent High Heal qui s’est mis en tête apparemment de requestionner l’ambient, propose quelque chose comme un hybride new age. New Age parce qu’il y est question du cycle jour/nuit et des saisons qui défilent dans une certaine appréhension de la nature, et hybride parce qu’Ange Halliwell mêle habilement à sa harpe des références pop, des voix de cinéma ou d’interprètes, des références électroniques aussi dans le traitement du son et la surimposition de certaines couches d’instruments, de rythmes, ou de mélodie, et donc la harpe qui reste l’élément premier de The Wheel Of Time.
Ange Halliwell réussi donc à faire de la harpe un instrument d’aujourd’hui, loin du cliché qu’on peut parfois avoir de la bergère qui en joue pour ses moutons au milieu des pâturages, figure canonique de la pastorale et notamment de la mythique Astrée d’Honoré d’Urfé.
Pour autant de pastorale il en est quand même question à l’écoute de The Wheel Of Time, et de fait la harpe a cette sonorité hors du temps qui résonne sans doute depuis l’antiquité et peut-être bien avant. Certes pas sur le même modèle harmonique, mais tout de même penser cette persistance des sonorités est quelque chose d’assez précieux à l’oreille de tout mélomane.
Pastorale donc pourquoi, parce que la pastoral est précisément ce moment du récit bucolique, où tout se trouve en épokhé c’est à dire en suspension du temps, de la vie comme elle va. Les personnages ne travaillent pas, ils sont bergers, et s’occupent principalement d’intrigues communautaires, amoureuses, divines, et surtout de la nature et du temps qui passe comme métaphore de changement d’états affectifs, amoureux, intellectuels.
On retrouve bien un peu cela dans The Wheel Of Time. Même si le berger ici serait contemporain, et mixerait sans doute un peu de modernité urbaine dans ce moment de nature idyllique.
D’ailleurs le LP a finalement circulé entre ces deux mondes, puisqu’enregistré dans le village natal du harpiste, entre mer et montagne, quelque part sans doute dans le sud-ouest Français.
Alors, sans filer plus la métaphore de la pastorale et de la harpe, on peut quand même dire, qu’il y a quelque chose d’une pastorale hybride, moderne, contemporaine dans The Wheel Of Time et ce temps qui passe n’est pas anachronique, inactuel ou en suspension, mais bel et bien la matière de notre à présent, ici et maintenant.
C’est peut-être le sens du clip qui accompagne le LP, Summer Day & Autmun Day, réalisé par Rémy Barreyat où des scènes quasi sorties des légendes du roi Arthur croisent et se télescopent à des voitures, des terrains de basket bitumeux, et des événements surnaturels, le tout en armure 100% plastique ou en aube druidique.
The Wheel Of Time est en tout cas sans doute une des belles surprises de ce début d’année, une surprise curieuse, ambiguë et complexe, qui réactualise des figures tout en s’hybridant au plus contemporain.
En tout cas, il faut croire, qu’il y a bel et bien quelque chose du présent à penser avec la pastorale et ses télescopages avec le réel. Une transe pastorale pour répondre aux effondrements déjà en cours ? Le tout avec des bergers cerclés de feu au milieu des restes bitumineux de la société post-capitaliste ?
Gageons de ne pas avoir à y répondre trop tôt, et profitons de The Wheel Of Time pour appréhender un peu différemment ce temps et ses saisons qui défilent.
The Wheel Of Time d’Ange Halliwell est dispo dès maintenant sur le Bandcamp d’High Heal.