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Basile3 : ballades club contemplatives et sensibilité pop dystopique

Il y a quelques semaines sortait l’un des projets les plus confidentiellement brillant de l’avant garde électronique française. Dans la continuité de No Extra Territory (Paradoxe Club), Ciel Rouge de Basile3 prouve encore une fois, si preuve il faut, que les musiques de club peuvent être plus que de simples beats. En intégrant les structures ADN de diverses formes de musiques de danse à des compositions qui s’étirent sans se répéter, Basile compose une forme de poésie en arpèges, où les carillons de l’enfance répondent aux kicks de l’adolescence, pour donner à lire des œuvres matures, riches en textures et en expériences. La club music devient une matière à raconter, le métronome d’une expérience auditive, à mi-chemin entre les émotions candides et spontanées de la pop et le doute méthodique d’une techno qui a depuis longtemps abandonné tout espoir en l’avenir.


Victor Dermenghem pour Couvre x Chefs | Tu as pas mal bougé en France il me semble, raconte, pourquoi t’as autant la bougeotte ?

Basile3 | Alors j’ai grandi à Rennes jusqu’à mes 14 ans, ensuite direction Malakoff en banlieue parisienne où je fais mon adolescence et jeunesse, puis j’ai fais un master en aménagement du territoire à Grenoble (…mais j’ai jamais travaillé dans cette branche pour le moment).

Au moment de mon master je me sentais un peu à l’étroit et pas forcément à l’aise à Paris. Habiter dans plus petites villes m’a beaucoup aidé. Ce sont des villes moins stressantes, ou tu retrouves souvent les mêmes personnes. Après mes études j’ai travaillé un moment avec la revue Audimat/Les Siestes Electroniques à Toulouse….puis j’ai migré à Marseille pendant quelques temps pour essayer de vivre la vie d’artiste mais ça me convenait pas vraiment, je suis donc revenu à Paris depuis janvier dernier.

Cela me paraissait intéressant de revenir à Paris, depuis quelques années il se passe de belles choses au niveau de la programmation musicale, c’est une ville ou tu peux plus facilement être stimulé en allant voir des expos, des perfs, des concerts etc… Malheureusement ces raisons ont été largement cancelled par la crise sanitaire pour le moment :/

Tu as commencé à produire début 2010 si je ne m’abuse, et tu as traversé cette décennie de renouveau des musique électroniques, un moment hyper riche en innovations et brassages. Ta musique en témoigne assez bien je trouve. Quels en sont les moments marquants d’après toi ?

Oui début 2010 beaucoup de choses m’ont particulièrement stimulées. Etant à Paris, et étant arrivé à m’intéresser à la musique électronique via Justice principalement quelques années auparavant, j’ai peu à peu découvert des labels qui gravitaient autour. Et le moment où Club Cheval a émergé, puis Sound Pellegrino et Clekclekboom, mais aussi bien sûr Night Slugs, Fade To Mind et LuckyMe a été pour moi un moment ou beaucoup de possibles se sont ouverts, en terme de crossover de genre de musique, d’allier les sonorités hip-hop/r’n’b avec des ambiances plus étranges et froides. C’était aussi un retour vers des mélodies plus aériennes et moins brutales comme ça avait pu être le cas avec Ed Banger.

Personnellement j’ai eu la chance de rentrer en contact via SoundCloud avec le label Pelican Fly qui avait sorti le premier EP de Richelle qui est pour moi assez emblématique de ce qui se passait à ce moment-là. Des belges fan de crunk qui en ont fait un truc plus étrange et instrumental. J’avais à peine 18 ans et j’ai passé un peu de temps avec ces gens-là. J’avais eu l’honneur de jouer pour une de mes premières fois en première partie de soirée Pelican Fly au Social Club avec Sinjin Hawke, Zora Jones, Dj Slow, Mr. Tweeks et Canblaster et Sam Tiba aussi. C’était fou comment j’étais excité à cette époque par tout ce qui pouvait être mixé dans ces soirées : Jersey Club, UK Funky, R’n’b Anthem, Grime, Footwork etc… Il y en a eu d’autres des soirées super en terme musical au Social Club, même si la gestion du lieu en elle-même me saoulait beaucoup. Je me rappelle aussi très bien d’une soirée avec Oneman de Londres et French Fries c’était le feu.

Début 2010 c’est aussi bien sur le début de la trap, de Mike Will Made et et Future et de tout ces tubes qui m’ont beaucoup marqué.

Evidemment les premiers projets de Jam City et son album Classical Curves sont pour moi des grosses refs, je me retrouve beaucoup dans sa manière d’essayer de faire tenir ensemble des références assez différentes et toujours avec une vibe très dreamy de laquelle je me sens proche.

Même si je me suis toujours intéressé à plein d’autres styles de musique, c’est vrai que ce qu’il se passait de mon point de vue de jeune auditeur en terme de musique électronique club au début 2010 a été une grande ouverture du champ des possibles en terme de BPM, de rythmiques, de sonorités. Et pour beaucoup de gens de notre génération qui ont été réceptifs à tout ça je pense que ça nous marquera forcément pendant longtemps.

Basile3 © Pauline Gouablin

T’écoutes et tu regardes quoi en ce moment ?

J’écoute énormément d’émissions de radios avant tout, j’en ai pas de favorites, ou alors plein, mais j’écoute autant des trucs sur NTS, que Rinse France ou Lyl Radio.

Sinon en terme de projets les tous derniers trucs qui m’ont parlé il y a le nouvel EP de Shlohmo qui est bien puissant et sombre, je pense que j’ai une tendance à me rapprocher un peu de ce qu’il fait en ce moment. De même le nouvel album de Salem est dans cette même veine un peu mur de synth et de distorsion, ça me plait :)

Tre Oh Fie et le son club music de Floride c’est hyper excitant aussi en ce moment. De manière plus générale ça fait quelques années qu’on pousse un peu les tempos dans la club music, autant dans la techno et bass music que dans les trucs plus proche du rap et c’est hyper cool niveau rythmique. J’aime bien écouter Bktherula, du cloud rap bien planant avec une voix un peu flegmatique, j’adore.

J’ai eu un bon crush sur le dernier album d’Elysia Crampton, il y a une poésie derrière ce qu’iel fait que je trouve hyper contemporain et juste. C’est à la fois hyper divers musicalement, parfois audacieux et radical et à la fois il y a une cohérence qui fait sens pour moi même si c’est chaotique… parce que toutes façons la vie est chaotique.

En ce moment j’essaye de regarder des beaux films… si possible ! Je galère toujours à trouver. Là j’ai regardé plusieurs films de Leos Carax, c’est vraiment bien. J’aime ce genre de films à la fois réalistes et totalement dans l’excès par rapport au réel. Et il y a des plans super beaux.

T’es autodidacte complet il me semble ? C’est quoi tes plus gros trials and errors ?

Non je ne suis pas autodidacte complet ! Vers mes 14/15/16 ans j’ai pris des cours de piano plutôt jazz. A la base mon goal c’était de jouer dans une groupe du genre Hot Chip ou Metronomy… mais il y avait personne autour de moi qui était là-dedans. Je n’avais pas de piano chez moi donc je m’entrainais d’abord sur le logiciel Reason avec un clavier midi, c’est comme ça que j’ai commencé à produire, c’est déjà un peu un accident. Du coup quand je compose j’ai souvent des réflexes d’accord et mélodies un peu jazz même si ça se ressent pas forcément au fur et à mesure.

Franchement je sais pas ce que sont mes plus gros trials and error mais aujourd’hui ça fait 100% partie de mon process. C’est essentiel je trouve d’avoir des moments de lâcher prise, de faire n’importe quoi avec le logiciel ou avec n’importe quel matos de tout enregistrer puis de resampler ensuite.

Sur tes deux derniers projets, le niveau de production, la sophistication des compositions, ainsi que  palette d’émotions déployée, témoignent d’une réelle maturité artistique. Je vois ta musique comme une succession d’idées musicales assemblées sur une grille rythmique, puis agrémentée, voir oblitérés par tout un tas d’épiphénomènes sonores qui apportent substance et complexité, mais qui surtout viennent nuancer les émotions parfois plus spontanées de tes synthés, des nappes, arpégiations etc… Comment est-ce que tu travailles ?

Oui je vois ce que tu veux dire c’est un peu ça, dans les faits la plupart des morceaux de cet EP commencent avec une simple boucle, un peu sur le modèle d’instrumental rap/r’n’b. Puis au fur et à mesure de la construction du morceau je commence à imaginer des petits accidents qui font vivre un peu le truc. Je remplace les kicks, snares et 808 de base par des sons de portes qui grince ou d’enregistrement de rivière etc.

En général en tout cas la mélodies/émotions c’est les premières 10 minutes du morceau, c’est très spontané. Et après il reste 95% du job à faire….faire en sorte que la petite idée de ce moment soit développée sur un morceau. Et en même temps il faut éviter de surproduire, rester simple dans l’idée de base qu’on a, ça c’est le plus dur parfois et je pense que je peux encore m’améliorer là-dessus. Même si tu écoutes ton morceau 10 000 fois il faut réussir à l’écouter comme si tu l’entendais pour la première fois.

Ensuite il faut aussi faire en sorte qu’un projet ait une cohérence sonore, avec des éléments d’un morceau qui reviennent dans l’autre, du sound design et des petits tricks sonores/des synthés spécifiques qui sont utilisés pour un projet uniquement.

J’aime bien que chaque projet ait une identité sonore assez forte via des petits détails, ça c’est vraiment la dernière étape essentielle pour moi qui fait la diff. D’autant plus que sur les derniers projets chaque morceau est en soi assez différent, il faut donc réussir à créer du lien pour qu’une narration/un univers commun puisse se développer.

Parce que au final c’est ça l’objectif de mon travail je pense, créer des réalités alternatives où l’auditeur pourra s’insérer.

J’ai l’impression que ta musique est une critique du capitalisme avancé, t’en penses quoi? (rires)

Mmmh….je pense que ça serait très présomptueux de dire ça. Pour le moment ce que je fais c’est avant tout sortir de la musique dans des formats très conventionnels et de facto capitalistes…soyons honnêtes. Même si le profit n’est pas au coeur de mon projet, c’est vrai que je cracherais pas sur l’idée de pouvoir vivre de ça.

J’ai des doutes sur le fait que les arts visuels ou sonores soient capables d’émettre une réelle et complète critique d’un système économique globalisé aujourd’hui. Ça me parait trop étroit, et c’est facilement récupérable par les plus grands vautours de ce monde. Alors qu’une vraie critique serait forcément complexe, écrite et s’expérimenterait dans la mise en place de nouveaux systèmes d’organisations collectives et de gestion des ressources, des biens communs… c’est moins spectaculaire.

Après certes les artistes sont capables, à travers l’esthétique de leur projet, les références qu’ils proposent, de projeter leurs auditeurs/spectateurs dans des univers qui peuvent faire réfléchir au monde dans laquelle on vit. Et je pense qu’il y a eu beaucoup de choses positives dans ce sens-là dans ces derniers dans nos cercles, même si il y a encore du chemin à faire.

Dans mes derniers projets il y a un peu cette superposition de mélodies et sonorités assez catchy et pop avec des sons étranges et gênant, et c’est vrai que ça correspond bien à ce que j’ai envie d’entendre aujourd’hui. Quand j’écoute de la pop, du rap ou r’n’b il y a un truc très satisfaisant et séduisant et en même temps je suis assez réaliste sur le fait que tout ça est assez fake et qu’en vrai la manière dont on vit est un peu fucked up.


Je pense que nos générations sont à fond dans ce dilemme, à la fois séduites par l’hypermodernité, le cosmopolitisme, le libéralisme des moeurs et en même très conscient du caractère destructeur, injuste, irresponsable de ces modes de vies.

Basile3

Du coup j’essaye pas vraiment d’être dans la critique, mais plutôt de proposer une navigation dans ce qu’on vit, ou du moins ce que je vis. Et niveau visuel j’ai ressenti un peu la même chose chez Camille Soulat qui propose des images très séduisantes et en même temps qui ramène à une nostalgie de moment passé ensemble très douce et humaine. Ce genre de sentiments ça me parle beaucoup dans ce je fais je crois. Les pochettes reflètent ces territoires un peu délaissés et post-apocalyptiques, où l’on peut quand même entrevoir des scènes d’amour, de fête, d’échange, d’amitié qui se seraient passées dans ces lieux.

A la fois au final je théorise tout ça, mais beaucoup de choses se font à l’instinct, au ressenti pur, même si c’est forcément le fruit de toutes les informations visuelles, textuelles, sensorielles, musicales que j’ai digéré.

Ciel Rouge de Basile3 est sorti sur InFiné le 23 octobre et est dispo sur toutes les plateformes.